Dialogue avec un rongeur

Il était bien tôt, si tôt que le soleil venait de se lever et éclairait d'une lueur encore faible l'espèce de temple qui se trouvait être l'école de la nature. Assise sur une sorte de petit muret en pierre, Adelaïde était déjà debout. Enveloppée d'une longue tunique à mi-chemin entre le noir et le gris son attention s'était portée sur un couple de rouge-gorges occupé à bâtir leur nid sur la branche d'un vieux chêne. Elle sourit. Le printemps arrivait à grands pas et la nature sortait doucement de sa longue hibernation. L'apprentie ferma les yeux et huma un peu d'air frais avant que quelque chose ne lui chatouille les pieds. C'était un mulot, un gros rongeur adorable qui trainait à grandes peines un épi de blé presque plus grand que lui. La scène était à la fois comique et attendrissante.

- Bonjour Monsieur le Mulot, où courrez-vous de si bonne heure ?

La bestiole se figea et contempla de ses grands yeux noirs celle qui lui parlait comme s'il venait de comprendre qu'on s'adressait à lui. La jeune fille le saisit délicatement dans ses bras et le posa dans ses genoux. Loin d'avoir l'air gêné, le mulot se laissa faire et elle put même lui caresser du bout des doigts son pelage gris brun en fredonnant une chanson que son père lui avait apprise quand elle petite. Trop préoccupée à bichonner le petit animal, elle ne se rendait même pas compte que l'air glacé du matin la faisait grelotter.

Une personne posa soudain une cape en laine légère qui était traditionnellement utilisée pour la belle saison avant que le soleil ne réchauffe Avalon, sur la tenue noire de novice d'Adela. Il s'agissait de Vivianne, la mère de ce temple. Depuis la chute de Camelot, le prêtresse qui prenait en charge le culte de Dana prenait le nom de Vivianne, la dernière mère ayant servi la déesse. Si toutes les prêtresses se donnaient le nom de "soeur", elles obéissaient toutes à la "mère". Celle-ci était déjà passablement âgée. Ses cheveux, autrefois d'un noir de jais, étaient à présent poivre et sel. Son visage doux et souriant était recouvert du passage du temps et d'une vie au grand air. Elle avait du être belle autrefois, mais il ne restait plus qu'un simple vestige de cette ancienne gloire. Néanmoins la vieille femme s'attirait la sympathie par ses manières douces et bienveillantes. Elle alla s'assoir près de la novice :

- Hé bien Adela? Que fais-tu dehors de si bon matin?

Elle sourit de manière quasi maternelle. La jeune novice serait surement impressionnée que la mère vienne lui adresser la parole en personne, mais il fallait qu'elle apprenne à surmonter ça. Vivianne n'attendait des autres simplement qu'on lui témoigne du respect. Elle n'avait que faire d'une adoration servile. Elle était mère, mais elle était avant tout une femme, une mortelle et aucunement une déesse.

Adélaïde sursauta en sentant quelque chose sur son épaule. C'est à ce moment qu'elle revint à la réalité et réalisa qu'elle était gelée. Le mulot qu'elle tenait entre ses mains se réfugia immédiatement dans les manches de sa tunique mais sentant que la nouvelle humaine n'était pas dangereuse sortit le bout de son museau pour observer la prêtresse mère. La vieillesse avait eu beau altérer ses traits, elle restait d'une grande beauté aux yeux de l'apprentie. D'une beauté sage et rassurante qu'ont ces vieilles femmes au cœur aussi doux que raisonné. Au mieux d'être intimidée par la présence de cette grande personne, la jeune femme en fut honorée. Honorée et heureuse à la fois que quelqu'un de si important daigne lui adresser la parole et même de la vêtir d'une cape en laine.

- Je m'entretenais avec un nouvel ami, Monsieur le Mulot.

Sa voix était aussi calme et douce qu'à l'accoutumée. Elle rendit son sourire serein à la prêtresse mère tout en faisant glisser avec délicatesse le rongeur au creux de sa main pour le montrer à celle-ci.

- Dîtes bonjour à Mère, Monsieur le Mulot. Reprit-elle cette fois-ci sur un ton plus joyeux, presqu'enfantin en caressant de nouveau le rongeur. Reprenant son sérieux, Adélaïde s'empressa de saluer plus dignement Vivianne.

- Bonjour Mère, merci pour la cape mais vous devriez plutôt vous préoccuper de votre santé que de la mienne. Il fait un peu froid ce matin.

Vivianne sourit doucement avant de répondre :

- L'été va bientôt reprendre ses droits. D'ici une heure il commencera à faire chaud.

Elle observa un instant le petit rongeur qui reposait au creux de la main de la jeune novice. Adela possédait avant même d'arriver au sanctuaire le don de communiquer avec les animaux de la nature. Un don très développé même. Elle avait un potentiel tout à fait certain. Même si elle avait les mêmes difficultés que n'importe quelle autre novice dans les autres domaines, en ce qui concernait les bêtes, ça allait tout seul. Elle pourrait bientôt passer à l'étape supérieure. Mais certaines règles devaient être respectées. Il était peut-être tôt... mais il n'y avait pas d'heure pour une leçon! La vieille femme inclina la tête devant le petit rongeur et lui dit dans sa langue :

- Bonjour, petit frère.

Elle tendit la main vers lui :

- Veux-tu bien venir que je te pose au sol?

La petite créature glissa sur la main ridée de la prêtresse et celle-ci le reposa dans l'herbe où il reprit sa course. Elle se tourna alors vers son élève:

- Dis-moi Adela, il me semble que tu aies une certaine tendance à humaniser nos frères de la forêt. Il ne faut jamais oublier qu'ils sont sauvages et le fait que nous parlions leur langue ne nous octroie pas le droit de les considérer comme domestiques. Ici, tu ne prenais pas grand risque avec ce petit mulot... Mais la plupart de nos frères ne supportent pas d'être touchés. Au pire, simplement pour les soigner lorsqu'ils sont blessés mais les caresses...

Elle resta évasive sur ce point, puis reprit de façon plus légère:

- As-tu déjà gratté les oreilles d'un loup? Je ne te le conseille pas, à moins que tu n'estimes que tu puisses te passer de l'une de tes mains. Il faut toujours t'assurer de l'accord d'une créature avant de la manipuler. Et surtout la manipuler le moins possible... car tu lui donnes ton odeur. L'odeur d'une humaine. Une odeur capable de faire tuer son petit à une mère. Comprends-tu ce que j'essaie de te dire? Communiquer avec la nature est un don merveilleux Adela. Mais comme pour n'importe quelle autre chose, il ne faut jamais en abuser.

La Mère reposa le mulot au sol et réprimanda avec douceur Adélaïde. Il était vrai qu'elle n'avait jamais vraiment vu les choses sous cet angle-là, habituellement, il lui suffisait d'adresser la parole aux animaux pour qu'ils se laissent d'eux-mêmes se faire cajoler. Elle baissa les yeux au sol, un peu honteuse, comme un enfant à qui l'on vient de faire la leçon.

- Désolée. Je n'y ai jamais pensé.

Les loups... Elle n'en a avait jamais rencontré, ou alors que de très loin. En fait elle n'avait jamais côtoyé quelque chose de plus dangereux et de plus sauvage qu'un renard, et seulement qu'une fois. L'apprentie s'en souvenait vaguement, elle devait être petite, toute petite lorsqu'un bruit l'avait réveillée en sursaut au beau milieu de la nuit. Elle avait bondi se son lit, poussée par une curiosité insatiable et était tombée nez-à-nez avec une petite créature rousse qui tenait dans sa gueule une poule qu'il venait d'égorger. Quel âge avait-elle lorsque cela s'était produit ? 6 ans tout au plus, en tout cas elle était trop naïve pour en avoir peur et à l'époque elle désirait simplement jouait avec les moustaches de l'animal. Quand elle avait approché sa main, il l'avait mordue, mais voyant des larmes couler sur le visage de la fillette s'était radouci jusqu'à venir lui lécher les doigts... Souvenir étrange. Est-ce qu'un loup en aurait fait de même ? Peut-être bien que non, peut-être bien que oui, mais aujourd'hui elle ne tenterait pas l'expérience. Même si sa supérieure avait parfaitement raison, Adela voulut quand même se justifier un peu.

- Je comprends. Dame Nature n'a pas créé les bêtes pour qu'elles soient au service des hommes, mais je ne les ai jamais considéré comme des domestiques, mais comme des amis.

Oui, il ne fallait pas qu'elle se méprenne sur ce point-là, car jamais elle ne s'était sentie supérieure à un animal... Même pas une souris.

Vivianne écouta la réponse de sa jeune apprentie. Au moins était -elle assez humble pour ne pas se considérer supérieure aux autres créatures de Dana. Le don de communiquer avec les créatures de la nature servait avant tout à acquérir des informations. La vieille femme reprit :

- Des amis? Non ce n'est pas tout à fait cela non plus. Lorsque l'on s'adresse à eux, nous les appelons "frères" ou "sœurs" comme tu pourras le faire avec des consœurs lorsque tu auras acquis ton titre de prêtresse. Mais de là à dire que se sont nos amis... Non. Ils nous viennent en aide et nous leur rendons la pareille. Mais je ne pense pas que le terme "ami" corresponde à cette relation. Vois-tu, la plupart des gens feraient n'importe quoi pour leur ami. Mais toi, Adela, dis-moi... Si ton ami Mulot vient à se faire attaquer par un faucon, là sur le champs, devant tes yeux... que fais-tu?

La vieille femme sourit gentiment. C'était une question bien méchante qu'elle posait là, mais malheureusement, Adela y serait surement confrontée plus d'une fois. C'était dans l'ordre de la nature. Suivant la réponse de la jeune novice, elle lui expliquerait les règles.

Elle se mordilla doucement la lèvre inférieure. Encore une fois Mère avait raison sur toute la ligne. Ami, oui c'était un mot bien fort. Compagnon alors ? Comment désigner des êtres que l'on affectionne dès le premier regard, dont la présence nous rassure mais qu'on ne rencontre qu'un cours instant ? Difficile à dire... Il n'existait peut-être pas de mots pour désigner cette étrange relation.
Adéla faillit répondre sans réfléchir à la prêtresse que si le Mulot se faisait attaquer elle irait chasser le vilain oiseau mais s'abstint, pesant ses paroles. La question était posée comme s'il s'agissait d'un test, il était évidemment hors de question de sortir une bêtise. Elle médita un petit moment sur la question et finit par déclarer :

- Je ne ferais rien car il ne faut pas interrompre le cycle de Dame Nature. Le mulot mange les graines, le serpent avale le mulot et l'aigle attrape le serpent. Ainsi vont les choses et je ne pense pas qu'il soit sage de les bouleverser. Ainsi en ont décidé les Dieux.

C'était triste mais les choses fonctionnaient comme ça. Manger ou être mangé. Les hommes aussi d'ailleurs fonctionnaient un peu comme ça. Ils se battaient souvent, mais contrairement aux animaux ce n'était pas tout le temps pour des questions de territoires ou de nourriture.

- Si les animaux ne sont pas nos amis. Comment dois-je les considérer ? Comme des alliés ?

Vivianne sourit. La petite avait de la suite dans les idées. C'était une qualité essentielle pour toute prêtresse. Néanmoins, celle-ci semblait perturbée par la question d'ordre assez hiérarchique au sujet des animaux. Mais que lui répondre pour quelle comprenne facilement? La vieille dame chercha ses mots, et reprit :

- Poses-toi déjà cette question Adela : pourquoi tiens-tu tant à nommer la relation que tu entretiens avec nos frères de la nature? Les animaux, comme les plantes sont ce qu'ils sont : des animaux et des plantes. Ils font parti de l'ordre de la nature et sont issus de la création comme les humains. Classes-tu vraiment chaque personne que tu peux voir ou rencontrer? Ami, allier, ennemi? Comment classes-tu l'enfant de la femme que tu viens d'aider à accoucher? Comment classes-tu le soldat qui garde la porte du château de notre sœur Morgause? Comment classes-tu la gardienne d'oies que tu entends chanter sans la voir? Comment classes-tu l'homme qui tue pour défendre sa propre vie? Ils sont. C'est tout. Allies pourrait à la rigueur convenir, mais uniquement à l'animal ou la plante qui te viendra en aide. En général ils le font. Mais pas toujours. Par contre, certaines d'entre nous aiment s'enticher d'une créature en particulier. Un animal, le plus souvent, qui quitte en partie le monde sauvage pour devenir son Compagnon, son Familier. Là les règles de l'équilibres ne sont plus vraiment en vigueur car tu auras tendance à protéger son compagnon. Mais pour une telle relation, il faut que l'animal accepte d'avoir un humain pour compagnon. Alors là, tu pourras dire de lui qu'il est ton compagon. Mais pas avant... M'as tu comprise, Adela?

Accompagnant ses paroles d'un petit hochement de tête, elle répondit de sa voix douce.

- J'ai compris. Merci Mère de m'avoir instruite sur ce point.

La leçon était simple. A présent, elle éviterait de trop s'attacher aux animaux et de les caresser. C'était une chose qui n'allait pas dans le cycle de la nature. Jamais on n'avait de louve cajoler une brebis.
N'ayant plus de questions et plus de commentaires à redire sur le sujet, elle leva simplement la tête vers le ciel dont elle admira un moment les nuances de bleu. Elle sentait le vent frais caresser son visage et soulever lentement ses longues boucles blondes et trouvait ce contact agréable. Aurait-elle un jour un Familier ? Probablement, à condition de rester prêtresse. Mais voulait-elle vraiment rester prêtresse ? D'un côté, elle s'instruisait beaucoup sur des sujets qui la passionnaient, tels que les plantes ou les animaux et venait en aide à de nombreuses personnes, choses qu'elle avait toujours rêvé de faire. Mais de l'autre... Elle aurait quand même voulu s'installer dans un petit village paisible, se marier avec un beau garçon, lui donner beaucoup d'enfants et finir sa vie dans le calme et la tranquillité. Une vie à laquelle aspiraient toutes les petites filles. Après tout, qu'est-ce qui la poussait à devenir prêtresse ? Son désir d'être utile ? La protection que lui offrait l'école de la nature ? Son immense soif de connaissances ? Peut-être un peu tout à la fois, mais cela restait confus dans l'esprit de la jeune femme. Jamais elle n'avait formulé le souhait de suivre la voie du druidisme.

- Mère, je peux vous poser une question indiscrète ?

Vivianne eut un petit mouvement de recul. La dernière question de la novice l'intriguait. Que voulait-elle donc savoir qu'elle demandait la permission de poser sa question. D'un autre coté, le fait qu'elle ose poser une question de ce genre à la gardienne du culte prouvait qu'elle commençait à prendre confiance en elle et en son rang. La vieille femme se félicita de cet état de fait. N'ayant aucune raison de refuser cette demande et poussée par la curiosité, elle répondit :

- Oui, bien sur, je t'écoute...



(( tu ne m'as pas laissé bcp de marge de manoeuvre pour ce poste lol, tant pis pour les 10 lignes))

[HJ : Wups, pardon =X J'tape sur un put*in de clavier anglais, donc s'il manque des accents, je m'en excuse ^^']

Etait-ce convenable de poser une telle question a une supérieure ? Hum, probablement non. C'était bien une question bien trop personnelle et mieux valait la poser a des personnes que l'on connaissait bien. Mais maintenant qu'elle était lancée, tant pis pour les convenances.

- Euh, qu'est-ce qui vous a poussé a devenir prêtresse ?

La curiosité était un vilain défaut, certes mais Mère avait du être très belle dans sa jeunesse, pas sotte non plus. Avec ses atouts elle aurait surement pu acquérir tout ce qu'elle voulait, alors pourquoi abandonner le reste du monde pour se consacrer au druidisme a la nature ? Adéla adorait son environnement, la foret, les animaux, mais pour elle qui avait vécu la plus grand partie de son enfance dans le petit cocon qu'avait tissé son père, l'idée lui semblait pluton étrange.
Cette question devait surement intriguer son interlocutrice. Elle entreprit donc de se justifier en regardant ses pieds, visiblement a la fois gênée et confuse.

- Je ne suis pas entièrement sure que le rôle de prêtresse me conviendra.

Surtout pas entièrement sure de VOULOIR devenir prêtresse...

La voix de la vieille femme tira Adela de ses pensées :

- Lorsque j'étais plus jeune, beaucoup plus jeune, bien avant ta naissance, il y a eu une grande épidémie. Korlash en était l'auteur. Il avait envoyé un malade dans ma ville natale. C'était bien avant que Morgause ne lui mette un frein dans sa conquête. J'ai vu beaucoup de gens mourir, dont des personnes qui m'étaient fort cher. Mais il y eut beaucoup de survivants, grâce aux soins d'une prêtresse qui était venu nous aider. Je l'ai assisté durant toute l'opération bien que je ne sois pas prêtresse moi-même. J'ai appris beaucoup de choses auprès d'elle. Mais surtout je me suis rendue compte d'une chose, je voulais passer ma vie à aider les autres. Je ne voulais plus jamais rester passive face aux morts. Alors lorsqu'elle repartit vers le sanctuaire, je la suivis et commençait mon noviciat.

La vieille femme posa sa main sur l'épaule d'Adela. Elle savait parfaitement pourquoi elle était venue ici, suite à son viol.

- L'amour est une chose magnifique Adela. Mais n'oublie jamais que tu as toujours le choix. Tu vas rencontrer de nombreux hommes durant ta vie de prêtresse, et nombre d'entre eux te donneront un enfant. Mais si tu rencontre le bon, et que tu souhaite l'épouser, tu pourras toujours le faire. A n'importe quel moment de ta vie, tu peux cesser d'être prêtresse et devenir femme. Mais supporteras-tu après toutes ces liberté de vivre sous le joug d'un homme? Il te faudra l'aimer de tout ton coeur pour accepter un tel sacrifice... Ne fais jamais ce genre de choix à la légère.

- Je suis désolée pour ce qui s'est passé.

Triste histoire que celle de Mère Vivianne. Korlash... Qu'elle détestait ce nom, annonciateur de morts et de malheur. Jamais elle ne comprendrait pourquoi les Formerii éprouvaient ce besoin de faire souffrir et de persécuteur les mortels, sans doute parce qu'elle n'était elle-même pas Formerii. Ce devait être dans leur nature, on ne pouvait rien y faire. Elle fut tout de même surprise que Mère accepte aussi facilement de lui répondre toujours aussi douce et calme. Elle qui pensait que ce genre de questions n'était pas très convenable ! En y réfléchissant, Adéla avait aussi envie de passer sa vie à aider les autres, mais il n'était pas obligatoire d'être prêtresse pour se soucier de son prochain.
Elle ne put s'empêcher de légèrement rougir lorsque son interlocutrice lui parla de rencontrer de nombreux hommes. Mère était plutôt perspicace puisqu'elle av ait aisément deviné ce qui la gênait. Mais il était vrai qu'elle avait raison sur certains points, le mariage et l'amour n'étaient pas à prendre à la légère et avait de nombreux désavantages. Alors pourquoi, elle qui en était bien consciente, ne pouvait-elle s'empêcher de penser à son ancien amant ? Est-ce qu'il pensait à elle au moins ? Est-ce qu'elle avait vraiment envie de le revoir ? Oublier, il fallait qu'elle oublie et qu'elle étouffe cette souffrance bien cachée au fond de son cœur.

- Vous avez raison. J'ai encore le temps d'y penser.

Avait-elle admis avec un sourire amusé. Pourquoi se préoccuper de choses si lointaines ? N'empêche que si elle avait un enfant elle voulait un fils, pas une fille frêle, belle et trop douce comme elle, elle souffrirait trop !

Vivianne sourit en voyant que la jeune demoiselle venait de se trouver matière à réflexion pendant plusieurs heures au moins. Il semblait qu'Adela avait du mal à concevoir les différents statuts qui gouvernaient la vie des femmes sur Avalon. Cela avait beau être une société matriarcale, il ne fallait pas froisser l'honneur des guerriers, ni la virilité des mâles. De nombreux compromis avaient été trouvés pour mettre les deux parties d'accord. On avait reconnu de nombreux droits aux femmes et tout autant d'obligations pour les hommes. Mais une femme se plaçant sous la protection d'un homme lui appartenait. Elle avait pour devoir de veiller à l'enrichissement de la famille et à l'éducation des enfants. Elle gérait la maison comme un royaume, en faisant les comptes et supervisant les à cotés. Mais cela ne lui laissait plus guère d'occasion d'exercer un métier. Tandis qu'une prêtresse était l'équivalent d'un chef, son supérieur même. Elle était respectée et crainte de tous. Elle aurait carte blanche pour aider quiconque en aurait besoin et pourrait se déplacer où bon lui semble : elle serait toujours chaleureusement accueillie. Enfin, la novice avait tout le temps de se rendre compte de cela. La vieille femme se tourna à nouveau vers elle et lui demanda :

- Dis moi, jeune fille, que comptais-tu faire de ta journée après tes leçons de la journée?

Que faire après sa journée de cours ? Excellente question. Probablement la même chose qu'à l'accoutumée, à savoir lire, méditer ou aide ses autres sœurs dans divers tâches ménagères. Pas grand chose de passionnant en somme. Mère allait-elle lui proposer de faire quelque chose avec elle ? Adela aimerait bien en tout cas. Elle aimait bien la vieille prêtresse et brûlait d'envie qu'elle lui enseigne de nouvelles choses : elle avait encore tant à apprendre !

- Je n'ai rien prévu de particulier, pourquoi cette question ?

Adela remarqua d'ailleurs que le soleil s'était déjà levé depuis bien longtemps. A l'heure qu'il était, toutes les autres sœurs devaient déjà s'être levées et commençaient sûrement à se préparer pour les cours de la journée. Il faudrait qu'elle garde un oeil sur le temps qui passait, histoire de ne pas être en retard à la première leçon. En général, on appréciait pas vraiment les retardataires et elle n'aurait pas voulu perdre quelques précieuses minutes d'enseignement. Pourtant elle aurait pu rester encore des heures à contempler la nature et à discuter en compagnie de Mère sans que cela ne la gène le moins du monde.

Vivianne se leva en douceur du petit muret pour soulager ses articulations vieillissante et observa un instant l'horizon, son visage exprimant la réflexion. Elle resta quelques instants ainsi, silencieuse avant de reprendre la parole :

- Bien Adela... dans ce cas, après ton cours de botanique, tu viendras avec moi, nous allons dans un village tout près d'ici.

Vivianne avait envie de voir comment se comporterait la jeune prêtresse en situation réelle. Mais elle ne voulait pas que celle-ci rate ses cours, c'était beaucoup trop important. Ce qui faisait une prêtresse, c'était avant tout son savoir et son savoir-faire. Privée de ces deux éléments essentiels, c'était juste une femme comme une autre.

- A tout à l'heure, donc, termina-t-elle avant de s'éloigner.

Sous le grand chêne, les étudiantes de robes plus ou moins sombres se pressaient déjà pour s'assoir dans l'herbe, face à une prêtresse tout de blanc vêtue.

Vivianne arriva quelques instants plus tard, vêtue de sa cape de voyage, d'un baton et de sa besace. Le baton était terriblement important pour une prêtresse, il lui permettait de la soutenir pour de longues marches, d'éloigner les animaux nocifs aux humains, de soulever des plantes toxiques pour aller chercher les bénéfiques qui poussaient dessous... Autant dire que c'était une seconde partie d'elle-même. Elle sourit à sa jeune condisciple.

- Bien ma fille, allons-y !

Elles prirent alors la route et tout en marchant, la Mère des prêtresses lui raconta la situation :

- Nous allons dans un village nommé Languste qui se trouve au bord de l'océan. C'est un village de pêcheurs mais qui sont depuis peu atteints d'une étrange maladie: il ne supportent plus de nourriture, ils ont de la fièvre et des plaques urticantes apparaissent sur leur peaux. Le mal touche tout le monde sans exception : hommes, femmes, enfants, vieillards... La prêtresse de ce village Iria nous a appelé au secours. Quoi qu'elle fasse, rien n'y fait... Je lui ai ordonné de mettre le village sous quarantaine. Plus d'échanges commerciaux et plus de visiteurs ! Si jamais un malheureux s'en approche, il ne peut plus en repartir. Sous peine de mort. On ne peut permettre de répandre la maladie dans tout Avalon ! Je veux aller voir ce qui se passe et essayer de trouver une solution. Ton rôle sera de m'assister mais également de transmettre des messages. Autant te dire que nous partons pour un moment. Alors si tu souhaite rester ici, c'est le moment de te décider!

En voyant Vivianne ainsi vêtue, Adela comprit immédiatement qu'elle s'était trompée : elle pensait que La Mère l'emmènerait dans la foret pour lui faire la leçon ou quelque chose du genre, alors qu'en fait elles s'apprêtaient a partir pour ce qui semblait être un très long voyage. Le cœur de l'apprentie s'emballa de nouveau, même si il n'y parut rien : Adela avait parfaitement appris a contrôler ses émotions pour toujours garder son air serein. Elle sourit, puis sans rien dire, suivit docilement sa supérieure en attendant avec patience que celle-ci lui explique quelle serait sa tache. Entretemps, son cœur n'avait pas encore décidé de reprendre un rythme normal : excitation ou anxiété ? Les deux. Depuis combien de temps n'avait-elle pas quitte le sanctuaire des sœurs ? Ouch... Longtemps... Enfin non, peut-être pas si longtemps que ça si on comptait les quelques fois ou on l'avait emmenée assiste une supérieure dans un village voisin pour soigner un malade ou aider une femme a donner la vie.
Heureusement, elle n'eut pas attendre beaucoup car au bout d'un petit moment Vivianne lui révéla enfin ou elles allaient et pourquoi, puis lui dit que si elle voulait faire demi-tour c'était le moment. Pour Adela, il était clair qu'il était hors de question de renoncer. Elle n'allait pas dire non a la requête d'une supérieure et tourner le dos a un village de malades a qui elle pourrait prodiguer son aide, aussi mineure soit-elle. Ce fut donc, avec un petit sourire qu'elle lui fit part de ses pensées.

- Ne vous inquiétez pas Mère. C'est un honneur pour moi que vous m'ayez choisie afin de venir en aide a ces pauvres âmes. Je suis prête a vous accompagner et je ferais de mon mieux pour vous assister. J'espère ne pas vous décevoir.

Même si en réalité, elle avait un peu peur et appréhendait comme l'aurait fait toute jeune fille de son age. Oui, elle espérait de tout son cœur être utile, mais ne voulait pas succomber a une maladie contagieuse.

Vivianne sourit doucement mais voyant l'inquiétude sur le visage de sa jeune compagne, elle reprit doucement :

- Ne t'inquiètes pas trop Adela... Mais le corps d'une prêtresse est beaucoup plus résistant à la maladie que chez n'importe qui d'autres. Certains pensent qu'il s'agit là d'un cadeau des dieux mais personnellement je pense qu'à force de se retrouver face à des malades, notre corps fabrique un espèce de bouclier qui empêche la maladie de nous atteindre. Ce n'est pas toujours vrai, mais la probabilité de tomber malade est fortement réduite. De toute façon, tu as encore toute la route pour renoncer, mais pour l'instant... allons-y !

Il n'était en effet pas dur de deviner la raison de l'inquiétude de la petite, n'avait-elle pas eu les mêmes dans le temps?

Elles s'avancèrent donc le long du chemin, avec leurs jambes pour tout moyen de transport. Le village n'était pas si loin et la vieille femme ne se sentait pas la force de monter à cheval ni de se faire chahuter dans une carriole. De plus, elles pourraient en profiter pour ramasser bien des herbes sur le chemin !

((suite au village !)